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Mbuka Ñaaŋ

6 août 2009

Assez, ça suffit !!!! La langue maternelle est

Assez, ça suffit !!!!

La langue maternelle est définie dans le domaine des Sciences du Langage comme étant ce moyen de communication parlée que tout être humain acquiert de ses parents. Mais pourquoi certains enfants perdent-ils aujourd’hui la langue de leurs parents au profit de la véhiculaire, c’est-à-dire celle dominante du milieu. D’aucuns m’ont toujours répondu que ce n’est pas la faute des enfants mais que ce sont plutôt les parents qui en sont RESPONSABLES parce que n’ayant pas joué pleinement leur rôle de transmetteurs de la langue. Serait-ce là, un argument fondé ou bien juste une réponse spontanée apportée à une question posée ? Ou encore, une couverture tirée sur soi pour se protéger d’une éventuelle attaque verbale de la part de la personne qui pose ce problème ou qui y réfléchit ? Certains pourraient déceler quelque inutilité de ce texte parce qu’ayant appris ou ayant toujours entendu dire que la langue, tout comme l’humain, naît, vit et meurt. Oui, la langue naît. Elle vit. Et, elle meurt. Mais comment meurt-elle ? Telle est la question que la plupart des gens qui brandissent cet argument ne se posent jamais, ou même s’ils se la posent, ils ne cherchent aucunement à savoir COMMENT les langues meurent-elles. La langue ne meurt jamais d’une mort naturelle. On la TUE plutôt. Le latin et le grec ont été tués par l’application de certaines politiques linguistiques dans les pays où ces langues étaient utilisées. Depuis la Révolution Française (1789), l’application de la politique linguistique faisant de la variété du français parlé dans l’Ile de France le seul et unique médium de communication du monde scientifique est la principale cause de la mort des langues et/ou variétés régionales. Aujourd’hui avec l’influence de l’anglais, la plupart des langues encore parlées à travers le monde risqueront de ne pas voir l’année 2100.

Loin de vouloir passer pour un prophète en prétendant prédire ce qui n’est pas évident, je voudrais juste vous inviter à réfléchir avec moi sur ce qui suit. Essayons ensemble de voir si nous devrions toujours incriminer les parents pour n’avoir pas transmis leur langue aux enfants ou si d’autre part, les enfants en ont une certaine RESPONSABILITE. En effet, un regard plus ou moins clair porté sur ce qui se passe dans la plupart des grandes villes Sénégalaises nous laisse songeur. Dans les grands centres urbains comme Saint-Louis, Thiès, Dakar… par exemple, rares sont les enfants issus des groupes minoritaires qui parlent bien et/ou maîtrisent la langue de leurs parents, s’ils la comprennent bien sûr. Je voudrais donc exclure d’avance dans ce texte le cas des couples mixtes en me limitant qu’aux foyers où PAPA et MAMAN appartiennent au même groupe ethnique. Et, pour être encore beaucoup plus précis, j’aimerais porter mon regard sur ce groupe ethnique minoritaire et/ou minoré au Sénégal et qui se dit descendant de ce grand roi du nom de Mankanya ou Mankanha. Je pars ainsi de deux exemples précis et que j’ai vécu il y a quelques années déjà.

Novembre 2001, alors que je venais d’avoir la chance d’être orienté à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, j’eus l’occasion de prendre part, quelques jours après mon arrivée, à la première assemblée générale des étudiants Mankagnes de ladite université. Mais je fus surpris de constater que les 60 voire 70% des échanges se faisaient soit en wolof ou en français. La plupart de ceux qui avaient une représentation ou une attitude plus ou moins positive de leur identité et vis-à-vis de leur langue l’alternaient avec ces deux autres que j’ai mentionnées ci-dessus. Nouveau venu dans les lieux, je m’attendais plutôt à ce que les échanges de cette rencontre se tinrent 100% en mankagne d’autant plus que la réunion était celle de l’association des étudiants Mankagnes. Quelle illusion ! C’est ainsi que ma curiosité m’amena à chercher à savoir qui sont ces frères et sœurs qui avaient du mal à tenir un discours d’une minute en Mankagne ? D’où venaient-ils ? Et, parfois j’allais plus loin en cherchant même à savoir à quelle famille appartiennent-ils (si papa et maman sont tous Mancagnes ou pas) ? L’enquête allait de pair avec ce que j’appellerais « de la provocation verbale ». En effet, à chaque fois que je rencontrais un de ces derniers, je m’empressais de le/la saluer en Mankagne et si le temps nous le permettait, j’entamais aussitôt une discussion. Mais rassurez-vous chers amis car les résultats de mon enquête furent aussi décevants que ceux du baccalauréat sénégalais de juillet 2009. Seule une et une seule personne était dans un cas qui ne nous préoccupe pas ici ; c’est-à-dire issue de couple mixte (plus précisément de père Mankagne mais de mère Manjaque). Par contre tous ceux qui restent, sont des Mancagnes de père et de mère - donc 100% Mankagnes et viennent pour la grande majorité des villages aussi reculés que mon cher Bantancountou natal. Alors, la conclusion qui en ressortait était que l’alternance codique notée dans leur parler était la seule et unique arme qu’ils utilisaient pour voiler un peu leur origine identitaire pour ne pas dire trajectoire sociale, laissant ainsi croire aux autres membres du groupes qu’ils sont des branchés et que malgré qu’ils soient nés au village, ils ont eu au moins à passer quelques jours dans une des grandes métropoles sénégalaise où se pratique le véhiculaire national. Quelle attitude négative de soi ! Quelle insécurité linguistique !  Quelle honte !

Un autre cas beaucoup plus impressionnant est celui de cette fille né à Tilène (Ziguinchor) et qui y a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans avant d’être récupérée par son oncle maternel. Elle rejoignit ainsi Dakar (au quartier Grand Dakar) en 1995 et 10 après (en 2005) elle déclare ne pas comprendre sa langue, le mankagne et que si la faute il y a, ce sont ses parent qu’il nous faut plutôt incriminer. Vous invitant à me suivre sur ces lignes, vous me direz si l’argument brandit par cette fille tient ou pas.

Février de l’année 2005, alors que j’étais encore étudiant l’université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) et par ailleurs membre de l’Association des Etudiants Mankagnes (AEM) de ladite université, nous avions été invités à prendre part à la journée d’intégrations des nouveaux bacheliers qu’organisaient nos frères et sœurs de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal). Responsable des relations extérieures, j’étais appelé à conduire la délégation de l’AEM composée de cinq personnes. Deux semaines avant la manifestation, j’ai été personnellement invité par le bureau des étudiants de Dakar à choisir un thème, à y réfléchir afin que the d-day (jour-j) je puisse partager ma réflexion avec tous. Tâche ardue ! Une semaine avant la manifestation je n’avais toujours pas encore trouvé un sujet qui pourrait, à mon avis, nous permettre de bien discuter des us et coutumes mankagnes. Je fus ainsi un jour réveillé par un coup de fil et au bout de la ligne c’est le Président des amis de Dakar qui me demandait de lui donner le thème de mon exposé afin qu’ils puissent mettre les affiches. Comme si quelqu’un me l’avait soufflé à l’oreille et de manière nonchalante, je lui répondis : « Langue comme identité culturelle ». Il laissa échapper un rire et me demanda à nouveau si c’est ce que j’avais retenu comme thème. Oui, lui répondis-je. Alors, m’attendant d’avoir le jour de la manifestation que des étudiants devant moi, je fus surpris d’être devant des Mankagnes d’âge mûr et dont la majorité est née et a vécu une partie de leur vie à Bula et Kuh avant d’émigrer au Sénégal. Fort heureusement et au vu des réactions qui ont suivi l’exposé, je semblais avoir convaincu une bonne partie de l’assistance. Naşih baţi ! (= Dieu soit loué!). Une réaction avait cependant retenu mon attention. Elle fut celle de cette étudiante de Tilène qui commença par me remercier pour ensuite conclure sont intervention en disant : « Xolal Albinou + ham nga + tu sais bien que ça ce ne sont pas des thèmes qu’on devrait proposer à ce genre de rencontre. Tu sais bien que ce n’est pas de notre faute mais plutôt celle de nos parents parce que personnellement si je ne comprends pas mankagne c’est parce que mes parents ne me le parlent pas ». M’ayant excusé pour avoir touché sa sensibilité et celle d’autres personnes, je lui rétorquais que c’est vraiment honteux et je vais vous dire pourquoi. Avec le sourire aux lèvres, je lui demandais :

-          Qu’est-ce que tu étudie?

-          Portugais, m’avait-elle répondu.

-          Quel niveau ?

-          Je fais la Maîtrise cette année.

-          A quelle classe as-tu commencé à étudier le portugais ?

-          En seconde comme grand commençant (et elle semblait s’en glorifier vu la manière dont elle articulait ces mots en roulant les yeux).

Mon argument fut alors très simple. Je dis à la demoiselle qu’elle ne devait pas incriminer qui que ce fut mais qu’elle devait plutôt se sentir coupable de son manque de motivation à apprendre sa langue maternelle si réellement elle ne la « comprend » pas comme elle le prétendait. Si au moment où elle me parlait elle s’est battue pour être en maîtrise de portugais malgré les difficultés auxquelles elle a dû faire face, c’est parce qu’elle était certainement MOTIVEE à apprendre cette langue.  L’argument de taille qui ressort de cet entretien n’est pas que la demoiselle ne comprend pas mancagne et ce ne sont pas les spécialistes en Psycholinguistique qui me démentiront. Si après avoir parlé mankagne durant les 15 années passées à Tilène et que 10 ans après elle déclare ne plus le comprendre, je répondrais que les spécialistes des questions relatives à l’acquisition de la première langue devraient revoir leurs théories. Ce n’est pas que mademoiselle l’étudiante ne comprend pas mankagne comme elle veut nous le faire croire car même si elle est resté dix année sans pratiquer cette langue, ses compétence communicationnelles sont restées telles et il lui suffirait de rencontrer un locuteur Mankagne, que les échanges commencent en cette langue pour que tout ce qui dormait en elle se réveillât. Osons, chers amis employer les mots justes pour dire les choses… Les jeunes Sénégalais d’aujourd’hui issus des groupes minoritaires se sentent tellement petits face « au géant wolof » qu’ils ne trouvent pas mieux que la bonne maîtrise de cet idiome – laissant ainsi de côté ce qui les fait. Ils finissent par n’être ni Wolof, ni ce qui étaient à la naissance ; c’est-à-dire ni Mankagne, ni Diola, ni Balante, ni Mandingue… At last, ils deviennent des personnes vacillant entre les identités et que j’appelle par ailleurs des hybrides. Oui, l’hybridité identitaire est la caractéristique principale de la plupart des jeunes Sénégalais de nos jours ; ces jeunes qui manquent d’assurance intérieure et qui ne se sentent pas fiers d’être ce qu’ils sont. Oubliant ainsi du coût que ce n’est pas en singeant ou en répétant comme les perroquets qu’on passe d’une identité ethnique à une autre.

Si nous sommes tous d’accord que la langue est une richesse, que c’est elle qui nous permet de forger notre identité culturelle, qu’une langue de plus est une richesse en plus, vous conviendriez avec moi qu’il vaut mieux un PLURILINGUISME-OUVERT qu’un monolinguisme-poison. Je clame haut et fort : ENRACINEMENT et OUVERTURE et non pas le Déracinement et Fermeture. N’oublions jamais que la première richesse qu’on puisse acquérir dans ce monde ne peut-être rien d’autre que sa langue maternelle. Alors, enrichissons-nous davantage en mettant fin à la mort de nos langues maternelles. Halte ! Assez, ça suffit !!!

Albinou NDECKY

ndeckyalbinou@yahoo.fr

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